Jean-Louis Lainé/ Startair paramoteurs association. © 1999/2007

  In Memoriam Domina Jalbert

 

L'hommage des parapentistes à Jalbert sera hélas posthume -il est mort en 1991- mais s'il est un homme qui a apporté une contribution fondamentale à notre sport, c'est bien lui. Il est le père de l'aile "à caissons" (ram-air cells), qui fut aussitôt mise à toutes les sauces : parachute, parapente, cerf-volant, paramoteur! Beaucoup de cerfvolistes lui vouent un véritable culte alors que le parapente semble négliger cette filiation incontestable! Domina Jalbert naît à Saint-Michel-des-Saintes, au Québec, en 1904, 17e enfant d'une famille de... 21 ! Sa mère coud des vieilles nipes pour en faire des cerfs-volants, et cette passion ne le quittera jamais plus.

En 1927, il réalise son rêve en devenant le 626e breveté avion des USA. Mais les années trente sont surtout celles de la Grande Dépression. Il revient aux cerfs-volants, qu'il emploie au tractage de banderoles publicitaires : ça ne marche que quand le vent est au rendez-vous. Puis il construit des ballons à hélium... qui ne fonctionnent que si le vent est nul ! Alors il croise les deux pour créer le Kytoon (Kite + balloon), un hybride au large domaine de vol capable de rester en l'air quel que soit le vent. Photo aérienne, antenne radio, publicité, emport de matériel scientifique ou météorologique, les applications sont innombrables. Lorsque la guerre éclate, il rejoint la US Rubber Company et fabrique des ballons de barrage pour la défense antiaérienne. Une expérience décisive car il est confronté au problème de la distribution de la pression interne selon le creux donné aux fuseaux, et acquiert la maîtrise de la construction des structures souples.

"C'est une aile!"
Après la guerre, il vole de ses propres ailes et fonde à Boca Raton, en Floride, le Jalbert Aerology Laboratory, où il continue la fabrication de ses Kytoons pour des applications scientifiques. Il se tourne aussi vers le sport : le cerf-volant et le parachutisme, activité en plein essor. Le challenge de l'époque est de doter les parachutes d'une certaine vitesse horizontale; le Paracommander affiche 1 point de finesse! Jalbert dépose plusieurs brevets, améliorant le concept de parachute multicellulaire. Il vise la finesse 3, en vain.

C'est aux commandes de son Beechcraft qu'il a soudain la révélation : "Les oiseaux ne se servent pas d'un bol pour voler, mais d'une aile! Pourquoi ne pas construire une aile en tissu ?" La légende dit que dès l'atterro, il plonge une baguette dans la trappe à carburant pour mesurer l'épaisseur de l'aile. Vingt-cinq années de travail sur les structures gonflables se concrétisent enfin dans le ram-air cell, l'aile à cellules gonflées par une écope qui leur donne l'épaisseur nécessaire à la formation d'un profil aérodynamique.

L'aile vole pour la première fois avec succès en mars 1964, et le brevet est déposé en octobre. Jalbert hésite : Kytfoil, Para-sled, et se décide pour Parafoil. Le nom étant déjà pris par un matériau d'emballage, ce sera Para-Foil, mais les utilisateurs auront tôt fait de revenir à Parafoil.
Il n'a pas les moyens techniques de résoudre les redoutables problèmes posés par la mise au point d'un parachute de saut. Il apporte alors ses 20 prototypes à un professeur du laboratoire d'aéronautique de l'université Notre-Dame-du-Wisconsin, John Nicolaides, administrateur de la Nasa. Celui-ci reçoit l'inventeur avec scepticisme : "Il faut essayer ça, mais ça ne marchera jamais", dit-il à ses collègues. Pourtant il s'enthousiasme dès les premiers tests en soufflerie : "Quand j'ai vu apparaître la portance et la puissance de cette aile non rigide, j'ai su que nous avions là quelque chose de fabuleusement nouveau en aéronautique!"

Le "Léonard de Vinci moderne"
Jalbert alors est crédité de "la plus grande contribution au parachute depuis Léonard de Vinci!", mais il devra se payer de ces bonnes paroles. Nicolaides s'empare de son invention et la développe tous azimuts, d'abord dans une perspective militaire. On estime qu'une aile de finesse 3 au moins sauverait 60 % des pilotes descendus au Vietnam (à la même époque, la Parawing de Rogallo est testée en Thaïlande).... En largué d'avion, en tracté, avec largage, et même avec un chariot motorisé, toutes les applications actuelles sont testées dès 1964. Les Golden Knights (l'équipe de prestige de parachutistes de l'Académie de l'air aux USA) adoptent le "matelas volant" dès 1967 et le Parafoil s'impose immédiatement et définitivement en parachutisme sportif.

Jalbert, amer, dépossédé, retourne à ses cerfs-volants, qu'il perfectionne sans relâche et dont il multiplie les applications. Il commercialise un système pour la pêche au gros, très prisée en Floride, où un Parafoil supporte les lignes d'hameçons qui sont ainsi immergées loin du bateau. En 1980, il dirige un groupe d'étudiants qui construisent et font voler lors de la IIIe convention de l'AKA (American Kitefliers Association), un Parafoil de 327 m2 tracté par un camion lesté de 20 tonnes de graviers, qui s'élève d'une centaine de mètres. Enfin, il se fait conférencier pour populariser son ultime projet : un Parafoil stratosphérique capable d'atteindre les jet-streams...

Quant au parapente, confidentiel aux USA, il en entend parler par des journalistes européens qui viennent lui rendre visite. En 1988, il répond à Fritz Kurz de Drachenflieger qui lui annonce le nombre de pratiquants en Europe : "Cette nouvelle représente pour moi le plus beau des cadeaux de Noël". Enfin, si le parafoil et le delta sont les deux concepts concurrents les plus populaires dans le cerf-volant, aujourd'hui, il n'y a en revanche aucune concurrence entre les deux concepteurs: "Je m'incline devant Rogallo, le père de l'aile delta. C'est un super-type, s'il en est!"

(1904-1991)

Domina Jalbert est né à Saint-Michel-des-Saints (Québec). Durant son enfance, sa famille déménagea à Woonsocket (Rhode Island), où il acquit la citoyenneté américaine. Pionnier de l’aviation, Jalbert décrocha en 1927 le brevet de pilote privé no 626. Passionné de cerfs-volants, il concevait à cette époque de grands cerfs-volants publicitaires (avec l’aide de sa mère à la machine à coudre). À l’approche de la guerre, la compagnie United States Rubber Co le recruta pour la fabrication des fameux ballons de barrage antiaériens qui défendirent Londres. Sa première grande invention, le « kytoon » (de « kyte » et « balloon »), date de cette époque. Réunissant les avantages du cerf-volant et du ballon captif, le kytoon a depuis été employé pour la photo aérienne, le déploiement d’antennes radio en altitude, la recherche atmosphérique, le soulèvement de billots lourds en forêt, etc. Jalbert fonda en 1949 la compagnie Jalbert Aerology Laboratory, s’intéressant aux parachutes. En 1953, aux commandes de son avion Beechcraft, Jalbert eut alors une vision : pourquoi ne pas dessiner un parachute ayant la forme d’une aile? Ainsi germa l’idée du « parafoil », une aile flexible, sans armature rigide mais dotée de caissons gonflés par le vent permettant de créer un profil aérodynamique et de générer de la portance. Breveté en 1966, le parafoil suscita rapidement l’enthousiasme. Jalbert fut crédité par certains de la plus grande contribution au parachutisme depuis les travaux de Léonard de Vinci. L’équipe américaine de parachutisme Golden Knights s’empressa d’adopter cette voilure révolutionnaire, surnommée « matelas volant » à cause de sa forme. Associé au parachute, le parafoil en diffère cependant au sens où, comme l’expliquait Jalbert, « le parafoil n’a pas été inventé en tant que dispositif de descente mais d’ascension ». Ancêtre du parapente et des cerfs-volants de traction (utilisés pour le paraski et le kitesurf), le parafoil fut même testé par la NASA pour le retour des capsules spatiales. Récemment, la NASA reprenait les essais avec le prototype X-38. Le futur planeur orbital déploya un gigantesque parafoil de plus de 140 pieds d’envergure et de 7 500 pieds carrés, soit pratiquement une fois et demie l’envergure des ailes d’un Boeing 747! Un record précédent appartenait à Jalbert lui-même qui, en 1980, fit voler un gigantesque cerf-volant parafoil de 3 640 pieds carrés, générant plus de 10 000 livres de levée, retenu au sol par un camion lesté de 20 tonnes de gravier. En 1983, un cerf-volant parafoil de plus 10 000 pieds carrés fut aussi testé.

Intronisé au Panthéon le 18 avril 2006.